
[1] Ajuriaguerra (Juan de), in Manuel de psychiatrie de l'enfant. Paris, Masson,197).
[2] Terrassier (J-C), in Les Enfants sur- doués ou la Précocité embarrassante, ESF, Paris 1981.
[3]
L'inhibition est involontaire, quand le masquage est volon- taire. Ces
attitudes sont assez fréquentes chez les personnes surdouées en difficultés.
[4] Brunault (Jean) & Pagès (Robert), in Bilan et projet à la suite d’une mission Eurotalent à Moscou ; Eurotalent, 1995.
[5] in J. Brunault, in Lettre à M. T. Hadjidemetriou, Rapporteur de L’éducation des enfants particulièrement doués dans le système d’enseignement ; Commission de la Culture et de l’Éducation du Conseil de l’Europe ; 1993; p. 3.
[6] Jean Brunault, Adriana Mélo- Salinas, Pierre Morin, Robert Pagès, Marie-Claude Vallet : Du Don au Talent, 1998, Éd. Eurotalent
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.
1. Surdouement : approche lexicale
|
1.2. Le vocabulaire scientifique |
« La connaissance des mots conduit à la connaissance des choses. »
Platon, in Cratyle
Avant
toute approche, il est primordial d'établir le sens des termes
utilisés. Or, pour nommer les personnes concernées et le phénomène
lui-même, coexistent de multiples appellations ce qui ne simplifie pas
la compréhension. Souvent tenus pour équivalents, ces termes
recouvrent cependant des concepts très différents qu'il importe de bien
discriminer. Nous distinguerons donc deux types d'appellations
:
1. scientifiques, 2. "exotiques".
Derrière
les mots se cachent des concepts, eux-mêmes issus de théories.
Aussi le vocabulaire employé n'est-il pas neutre et les différents
termes ne peuvent être tenus simplement comme interchangeables. Dans
cette
étude terminologique critique, nous passerons en revue les
différentes appellations utilisées. Si
aucune n'est parfaite pour décrire l'ensemble du phénomène, nous nous
arrêterons à définir les critères satisfaisants pour le choix d'un
terme
générique :
A. Historique • B. Scientifique • C. Déclinabilité • D. Usage
et compréhension.
1.2.1. Approche historique |
L'adjectif « doué » était utilisé pour nommer
un individu pourvu de dons, d'une aptitude particulière, d'une facilité
naturelle. Avec A. Binet (1911) est apparu le terme de « surnormal », en référence statistique à la moyenne de la population (norme) définie par son test (Échelle métrique de l'intelligence). Enfin, J. de Ajuriaguerra [1] proposera le terme de « surdoué » (1948), repris par J.-C. Terrassier [2] (1980), avant qu'il ne préfère utiliser le terme de "précoce".
1.2.2. Approche scientifique |
L'approche scientifique se base non sur des impressions, des
sentiments, une histoire personnelle, mais sur des faits mesurés sur un
panel large et selon une méthodologie rigoureuse. Elle a besoin de
termes non-équivoques pour rendre compte de la réalité. La présence de
plusieurs termes pour nommer une même réalité renvoie à différents
aspects de celle-ci.
• Doué
Pour
définir des capacités supérieures à la moyenne "doué" a l'inconvénient majeur
de rejeter la très grande majorité de la population dans les... non-doués. Pourtant, selon René Descartes (in Discours de la méthode (1637) :
«
...mais plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger, et de
distinguer le vrai d’avec le faux, qui est proprement ce qu’on nomme le
bon sens, ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes ; »
Ce qui posait bien le problème, mais cette phrase est, hélas, souvent prise comme : « tous
les hommes sont également intelligents », alors que le texte signifie
que tous les hommes disposent de la raison, ce qui n'est pas la même chose. Si tous
les hommes sont doués de raison, donc doués, ce terme ne doit donc être
utilisé que pour l'ensemble humain et non pour désigner la petite
partie dotée de capacités supérieures ou très supérieures à la moyenne, ainsi que l'utilise Arielle Adda..
• Haut potentiel
Ce terme laisse entendre que la spécificité ne serait que latente, en attente
de développement, quand le test mesure des capacité réelles et abouties (sauf inhibition ou masquage [3]). Il est cependant indispensable de spécifier : "Haut Potentiel Intellectuel" (HPI).
• Précoce (Intellectuellement...)
Ne concerne que les enfants (avant 17 ans), mais la surefficience
intellectuelle ne disparaît pas avec le passage à l'âge adulte, ce que
ce terme pourrait laisser entendre. De plus, que dire alors de l'adulte :
ex-précoce ? Pagès et Brunault [4] sont explicites quant au douement (fait d'être doué) et à la précocité :
«
La considération du douement et de son traitement individuel et social
la vie durant a été la justification principale de notre refus de
réduire le surdouement à la précocité de l’intelligence : ces aptitudes
concernées ne sont pas toutes proprement intellectuelles au sens de
cognitives ; et certaines aptitudes ne sont pas détectées ou peut-être
même détectables que de façon tardive dans certains cas, sans doute
rares, mais très importants. »
• Surnormal
Institué par Binet, il ne définit pas le champ de supériorité, mais indique bien que nous sommes dans le champ de la normalité et non dans la pathologie.
• Surdoué
Créé en 1970, par le neuropsychiatre Julian de Ajuriaguerra :
«
On appelle enfant surdoué celui qui possède des aptitudes supérieures
qui dépassent nettement la moyenne des capacités des enfants de son
âge. »
Ce terme, dans sa simplicité, est celui qui définit le
mieux la surefficiences intellectuelle dans sa spécificité et sa
globalité. Il indique bien et son caractère inné (don) et l'amplitude des capacités du
sujet (sur-).
Il recouvre enfin toutes les aptitudes humaines : intellectuelles
certes, mais aussi sportives, artistiques, relationnelles... Il est
repris par nombre de scientifiques, comme par les médias.
• Surdoué vs Haut Potentiel
Les deux termes sont valides, quel que soit l'âge du sujet. Le premier indique plutôt un état, le second une dynamique pouvant évoluer positivement (accomplissement) ou négativement (conformation, inhibition).
Le choix d'un terme se doit de répondre aux
notions conjointes et donc de pouvoir se décliner naturellement. Seuls
les termes issus de doué le permettent : douement (fait d'être doué), surdouement (fait d'un douement supérieur à la moyenne), douance (aptitude à utiliser ses capacités seul ou aidé), douage (actions visant à l'harmonisation des capacités ou à favoriser leur expression), etc.
1.2.4. Usage et compréhension |
Malgré les frilosités des uns et des autres (Terrassier, Revol, Siaud-Fachin...), le terme de surdoué est amplement compris et utilisé tant par le monde scientifique, journalistique que populaire, même s'il est parfois dévoyé. Ainsi, avec Robert Pagès et Jean Brunault [5], nous sommes-nous arrêtés,sur le terme de surdoué :
« Comme tous les enfants ont leur lot d’aptitudes, tous sont doués : il ne convient pas de distinguer des enfants doués (gifted en anglais) et d’autres qui ne le seraient pas (donc ungifted).
C’est pourtant ce qu’on risque de dire (et ce qu’on a lu quelquefois
dans la même langue) quand on parle simplement d’enfants doués. C’est
pourquoi nous sommes convenus de parler des enfants plus doués ou
surdoués à tel ou tel égard. »
Scientifiquement et humainement c'est le plus juste, construit selon les règles, global (et non décrivant un seul un aspect particulier : HP, HQI, précoce, etc.),déclinable. Il rend compte de la personne dans tous ses aspects. Bien expliqué, il est facilement admis par le sujet concerné.
Certains termes sont tenus pour synonymes ou équivalents, ce qui entrainent confusion, incompréhension et
interventions inadaptées, notamment quant à ces quatre mots-clés : aptitudes - capacités - compétences - talent.
La publication, par Eurotalent, en juillet 1998, d’un texte intitulé
: Du Don au Talent [6], synthétisait la création de termes justes
s'appuyant sur des concepts clairs et discriminants comme sur leur articulation. Il rend compte
des réalités concrètement rencontrées, fait avancer la
bonne compréhension du phénomène et, partant, la prise en charge des
difficultés rencontrées par les enfants et les adultes surdoués, et ainsi participe à l'évolution positive de leur image.
Il
ne s'agit pas de
querelles byzantines sur le sexe des anges, mais, si l'on veut
comprendre et aider les personnes surdouées, il importe fortement de
commencer par éliminer flou terminologique et manque de
discrimination conceptuelle. À défaut, ce sont les prises de positions
idéologiques ou fantasmatiques qui prennent le dessus, même chez les
professionnels de l’éducation ou de la santé. Positions qui sont loin
d'être le reflet
des réalités, de connaissances réelles et assises sur un
corpus théorique solide, scientifique et spécifique.
Voir : ACCET, analyse critique des approches théoriques du processus développemental du Haut Potentiel.
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